Interview de Come Chantrel

Nous avons eu la chance de faire une interview d’un français activiste de la street culture depuis ses débuts et qui reste souvent dans l’ombre. A l’origine entre autres du film documentaire Just for kicks voici donc ce qu’a pu nous raconter Come Chantrel.

AC : Peux tu te présenter à nos lecteurs ?

Come : Je m’appelle donc Come Chantrel j’ai 39ans et je vis aux USA depuis un peu plus de vingt ans. Je suis parti là bas dans les années 1990 pour m’y installer.

AC : Pourquoi as-tu souhaité partir aux USA ?

Come : J’avais déjà fait pas mal de voyages entre New york et Paris. Le premier était en 1982 et il a été comme un déclic. J’ai donc décidé de m’y installer dès ma majorité. Mes potes de l’époque (Bando, Vincent Cassel) et moi étions fascinés par les Etats-Unis. J’ai donc décidé d’aller y bosser et faire ma place dans le business de la musique.

Come et Tex – AF1 party NYC 2006

AC : Comment s’est passé ton intégration là bas et chez qui as-tu bossé ?

Come
: L’intégration s’est fait tout naturellement. J’ai d’abord bossé chez Loud Records qui n’était encore qu’une toute petite boite. Je m’occupais de pas mal de trucs dont le marketing. Nous étions à peine une dizaine à l’époque. Puis le label a grandi et j’ai eu de plus en plus de responsabilités.(ndlr : le label a signé entres autres le wu tang, beatnuts, pete rock, xzibit, big pun, mobb deep…) On a crée une boite de marketing à part dont j’ai pris la tête. C’était le début du consulting pour les labels et les marques. On a bossé pour le Coq Sportif, Pony, Nike… toutes ces marques proches du hip hop qui voulaient faire de l’image dans le music business.  Tout a commencé à exploser et je ne me suis plus occupé du label mais seulement de cette boite de marketing qui y était rattaché. Nous avions environ une soixantaine d’employés à l’époque c’était dingue. J’étais donc associé à Steve Rifkind (ndlr : patron du label Loud Records, inventeur du concept de street team, guerrilla marketing, précurseur du street marketing dont il a inventé les règles. Le concept de street team est une marque déposée qui lui appartient toujours).

AC : C’est allé très vite donc, qu’est ce qui t’as le plus marqué ?

Come : C’était clairement l’émergence du business hip hop et ça allait très vite. Toutes les marques voulaient en faire parti et ne savaient pas comment aborder cette niche. Je te parle d’une époque où BET (ndlr : black entertainment television) détestait le rap et tout ce qu’il representait, l’image de cette musique n’était pas encore vendable. Mais les grandes compagnies de disques, les marques de vêtements et même la MGM nous contactaient car elles avaient bien compris qu’il y avait un filon à exploiter. Il fallait tout leur expliquer, à quelle cible ils allaient s’adresser, leur code de valeur… nous bossions même pour des grosses agences de pub afin qu’elles puissent répondre à leurs clients.

AC : On est loin de ce qu’on peut voir aujourd’hui et c’est vrai que ce rap business est devenu énorme et concernant les kicks raconte nous ton projet avec Nike ?

Come : En 1997, le wu tang était chez nous et j’ai donc proposé à Nike une collaboration entre le groupe et la marque. On a du batailler pour arriver à nos fins car la marque n’était pas prête à accepter ça. Le problème aussi c’est que le Wu était suivi par le FBI et accusé de trafic d’armes. Mais on a donc réussi à sortir cette dunk wu tang, l’un des premiers hyperstrikes. C’était un peu dingue cette paire a pris une côte énorme tout de suite, l’impact a été très bon pour tout le monde. J’ai aussi été plus ou moins lié aux sorties Air Force 1 Roc a Fella mais ça c’est encore une autre histoire…

Interview complex magazine

AC : Après tu as quitté la côte est pour t’installer à Los Angeles, qu’as-tu fait en Californie ?

Come : J’ai bossé pour Pony j’étais directeur général de la marque. On a mené à bien un total repositionnement de la marque mais il a été effectué uniquement aux USA. On a sponsorisé des stars hollywoodiennes, comme Di Caprio, pour buzzer la marque puis on l’a revendu 18 mois après. Ce fut une belle opération aussi bien d’un point de vue financier que marketing. Je t’avoue que j’aime pas trop ce truc lié aux stars et édition limitée. Avant une marque de sport devenait un produit de rue, l’athlete était remplacé par le rappeur… mais il faut bien s’habituer aux nouvelles règles et mettre en place ce qui marche. J’ai également repris la marque Lotto avec un consortium d’investisseurs et on l’a revendue très récemment.

AC : Je sais aussi que tu es consultant pour Nike, plus récemment pour Jordan Brand. Pourquoi n’as-tu jamais voulu bosser chez Nike et que pense Jordan Brand du marché européen étant donné que la marque devait s’établir ici (cf . la venue de Jordan et Tinker très récemment) ?

Come : Pour ce qui est de bosser chez Nike je préfère être libre donc cela ne m’a jamais traversé l’esprit. Puis on voit que tu n’as jamais mis les pieds à leur QG en Oregon (rires). Les gens là bas mangent, boivent, dorment Nike et c’est pas trop mon truc. Je respecte en revanche le travail de Nike qui est pour moi loin devant les autres marques en termes de stratégie marketing. C’est une grosse machine qui sait tout faire et est capable de s’adapter à toutes les situations. Pour ta question sur Jordan Brand j’ai bien été consultant pour l’intronisation de la marque en Europe. Je ne pense pas que l’Europe soit LE marché véritablement ciblé par eux, l’Asie est plutôt leur prochain challenge. Le problème, et je prends le cas de la France, c’est que le pouvoir d’achat n’est pas le même qu’aux USA. Ici c’est la consommation à outrance, c’est juste dingue. Par conséquent la marque se concentre d’abord sur les Etats-Unis. Je t’avoue je suis un peu déconnecté je ne suis pas revenu en France depuis quelques années mais c’est comme ça que je vois les choses.

AC : On a donc pas mal parlé de ta carrière, tes expériences et c’est tout ça qui t’as donné l’envie de faire quelque chose qui parlerait des sneakers et est sans doute à l’origine de Just for Kicks, raconte nous un peu ça…

Come : Oui j’aime les sneakers depuis petit et j’en ramenais de New York déjà dans les années 1980. Comme je te l’ai dit j’ai bossé avec des marques quand j’étais dans la musique et j’étais au cœur de tout ce que tu as pu voir dans le documentaire. Si je n’ai pas participé à tous ces trucs, je les ai vécus donc je pouvais en parler. J’avais trouvé ça fascinant à l’époque et je tenais vraiment à faire quelque chose là-dessus. Au départ je voulais faire un bouquin mais au fur et à mesure de mes recherches j’avais pas mal de vidéos donc j’ai souhaité changer de support. En plus de ça rien n’avait été fait dans ce domaine là donc j’ai préféré cette option.


AC : Comment as-tu pu avoir toutes ces infos, ces images d’archives, ces témoignages ?

Come : J’ai vécu à New York donc je cotoyais pas mal de gens que tu vois dans le film. Pour les français comme je te l’ai dit c’était des potes d’enfance. En fait pour tout te dire l’un des déclics a été un contact que j’avais à l’époque de Loud. Le mec bossait pour Russell Simmons le grand frère de Run (ndlr : Joseph Simmons de Run DMC). Il suivait pour Russell le groupe un peu partout même s’il n’était pas signé chez Def Jam (ndlr : label de Russel Simmons et Rick Rubin)  mais il était quand même lié à Rush Production (ndlr : boite de management appartenant à Russel Simmons qui deviendra Rush Communications avec entre autres la marque Phat Farm dans les activités du groupe ). Et donc un jour en parlant avec lui il me dit qu’il a dans son garage tous les rush de films promotionnels, publicités, interviews autour de MY ADIDAS.

AC : Ah donc tu n’as pas eu ça par les marques directement ? Quel a été leur role et leur réaction quant à ton projet de documentaire ?

Come : Nike comme Adidas, Reebok, personne n’était partant au départ. Nous n’avons pas eu de budget accordé par les marques, pas d’infos. Les marques ne voulaient pas entendre parler de l’influence d’une sous culture, le hip hop, sur leur vente. On a donc préparé nos trucs de notre côté avec nos relations et on a monté notre projet. Je l’ai montré à une copine de chez Nike qui l’a montré en Oregon et là un premier déclic. Nike voit qu’on parle énormément d’Adidas et pense qu’ils doivent jouer le jeu en nous fournissant du contenu. Quand on a montré à Adidas nos premiers travaux ils ont tout de suite été enthousiastes. Ils n’avaient pas gardé tout ce qu’on avait pu réunir et ils ont été bluffés par nos archives. A partir de là, tout le monde a été plus ouvert. J’ai donc préparé tout ça, monté le projet et vendu le concept à Canal Plus. A partir de là j’ai fait appel à mon pote Thibaut de Longeville pour réaliser le documentaire car pour moi le plus intéressant était la conception. Je l’ai associé à Lisa Leone qui avait déjà une expérience et qui a pu donc lui apporter son savoir faire.

AC : Et le documentaire a donc été une réussite, il a vraiment été bien reçu dans la communauté des collectionneurs mais aussi chez  les gens qui ne se sont jamais intéressé aux sneakers… maintenant que tu as fait ça, as-tu d’autres projets dans les sneakers, que fais tu en ce moment ?

Come : En ce qui concerne les sneakers après Pony et Lotto je n’ai plus bossé dans cette industrie. En ce moment je bosse dans la wear et plus particulièrement le denim. J’ai été associé à la marque RED MONKEY que l’on a revendue récemment et j’ai monté la marque THE YEAR OF… Je fais toujours du consulting pour d’autres marques et je continue à assouvir mes passions pour l’aéronautique (ndlr : Come a été correspondant pour un magazine d’aéronautique pendant quelques années), le surf… mais peut être je referais un truc sur les sneakers…

Merci à Come Chantrel d’avoir pris le temps de répondre à nos questions et voici une petite vidéo bonus avec une interview de Come pour le documentaire Jordan Heads dans laquelle il raconte une anecdote liée aux sneakers.